Deuxième conte: Esther.

11 avril 2014 § 1 commentaire

Le cadre géographique.

1

I. Le roi Assuérus.

 

« C’était au temps d’Assuérus, dont l’empire s’étendait de l’Inde à l’Ethiopie, soit sur cent vingt-sept provinces ».

Assuérus est la transcription latine et française du nom biblique Akhashwerosh, en perse Khchayarcha, en grec Xerxès : le roi des Mèdes et des Perses qui, pour venger la défaite de son père Darius à Marathon envahit la Grèce lors de la seconde guerre médique franchit les Thermophyles, pour se faire ensuite battre sur mer à Salamine, en 480 avant JC, puis un an plus tard, sur terre à Platée.

 

(E.1.). Le festin d’Assuérus et la Reine Vasthi.

« En ce temps-là, comme il siégeait sur son trône royal, à la citadelle de Suse, la troisième année de son règne, il donna un banquet à tous ses grands officiers et serviteurs, les chefs de l’armée des Perses et des Mèdes, les nobles et les gouverneurs de provinces.

Il voulait étaler à leurs yeux la richesse et la magnificence de son royaume ainsi que l’éclat splendide de sa grandeur… »

Ce fut ensuite toute la population de la citadelle de Suse qui se vit offrir un banquet de sept jours sur l’esplanade du jardin du palais royal. Une fête somptueuse, des tentures de pourpre violette, des lits d’or et d’argent, et pour boire, une abondance de vin servi dans des coupes d’or.

Au septième jour, à la fin du banquet, le roi ordonna que la reine Vasthi, parée de ses plus beaux vêtements, vint se présenter devant lui afin que tout le monde pût l’admirer, car elle était très belle. Mais la reine refusa de venir selon l’ordre du roi que les eunuques lui avaient transmis.

2

Vashti refusant le roi.
Edwin Long. 1879.
 

Malgré les prières de ses suivantes, la reine refuse de rejoindre le roi.

« L’irritation du roi fut extrême et sa colère s’enflamma ».

« C’était une coutume de faire venir des femmes, des danseuses, à la fin des banquets. Mais pour obliger une reine, son épouse, à exhiber sa beauté aux yeux des dignitaires de l’empire perse pris de boisson, il fallait que le roi ait perdu le sens des convenances en la traitant comme une danseuse.

Vashti sait ce qu’elle risque en refusant de satisfaire le caprice du roi. Pourtant, elle ne cède pas. Elle n’accepte pas le rôle d’objet érotique que le roi exige d’elle pour se faire plaisir à lui, tout en divertissant ses invités. Elle ne plie pas.

Mais pour avoir osé défier l’autorité de son époux, elle sera détrônée et oubliée. Sa désobéissance est un crime contre l’ordre politique et social, qui menace les fondements de l’autorité. » (Extrait d’un texte de Gilles Bernheim).

 

(E.1.13). La recherche d’une nouvelle Reine.

Les courtisans de service recommandèrent au roi de faire chercher pour lui dans tout le royaume les jeunes filles les plus belles, afin que le roi Assuérus puisse se choisir une nouvelle reine. Ce qui fut fait.
Un décret est donc promulgué. L’intransigeante Vashti sera bannie. Une autre reine « meilleure qu’elle » sera couronnée à sa place. 

3

Edwin Long. 1875.  Royal Holloway and Bedford New College.

 

L’honneur du roi et de tous les hommes de l’empire sera ainsi sauvé. Car le roi et ses hôtes partagent une vision des relations homme-femme fondée sur la supériorité de l’homme et le rapport de forces.

II. Mardochée et Esther.

(E. 2.5). A la citadelle de Suse, vivait un Israélite, de la tribu de Benjamin, nommé Mardochée, qui avait été déporté de Jérusalem par le roi assyrien Nabuchodonosor et que les conquérants perses avaient laissé vivre paisiblement dans leur nouvel Empire.

« Ce Mardochée élevait alors comme sa fille une certaine Hadassa, autrement dit Esther, fille de son oncle, une orpheline de père et de mère.

(E.2.8). Esther était très belle. Elle plut à Hégé, l’eunuque du roi, gardien des femmes et chef du harem. Elle est emmenée au palais royal.

Mardochée lui recommanda de ne pas déclarer qu’elle était juive. 

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Fresque d’Andrea del Castagno.
Esther.  Vers 1450.

 

Elle  fut conduite chez le roi. Elle lui plut et il décida de la choisir pour reine.

 

(E.2.9). Mais auparavant, elle dut subir douze mois de « préparation », un ensemble de soins de beauté que le texte biblique décrit en détail.

5

La toilette d’Esther.
Théodore Chassériau. 1841.

 Esther est parfumée, coiffée et parée de bijoux pour être présentée au Roi Assuérus.

 6

Edwing Long. La Reine Esther. 1878.
National Gallery of Victoria. Melbourne.

7

L.Benouville.1844. Esther.
Musée des Beaux-arts de Pau.

Chaque jeune fille de ce harem devait se rendre un soir au palais royal et le lendemain matin, elle regagnait un autre harem confié à l’eunuque préposé à la garde des concubines. Elle ne retournait vers le roi que si celui-ci la rappelait nommément.

(E.2.17). « Esther fut conduite au roi le dixième mois de la septième année de son règne. Il la préféra à toutes les autres jeunes filles et posa le diadème royal sur sa tête, et il la choisit pour reine à la place de Vasthi. »

« Après cela, le roi donna un grand festin, le festin d’Esther, à tous les grand officiers et serviteurs, accorda un jour de repos à toutes les provinces et prodigua des présents avec une libéralité royale ».

(E.2.21). Dans ce temps-là, Mardochée apprit que deux gardes du palais voulaient tuer Assuérus. Il en informa Esther qui le dit au roi. Après enquête, les coupables furent envoyés au gibet. Et, en présence du roi, une relation de l’histoire fut consignée dans le livre des chroniques royales.

 

III. Aman : exterminer les Juifs de l’Empire.

(E. 3.1). « Le roi Assuérus choisit pour favori un homme orgueilleux et cruel, un Amalécite nommé Aman, et il en fit son premier ministre. »

Encart. 

Les Amalécites étaient une tribu de nomades édomites mentionnée dans la Bible, descendants d’Amalek, et qui occupaient un territoire correspondant au sud de la Judée, entre l’Idumée, l’Égypte et le désert du Sinaï. Selon la Bible, ils furent toujours acharnés contre les Hébreux, qui à leur tour les regardaient comme une race maudite.

Fin de l’encart.

 

« Tous les serviteurs du roi reçoivent l’ordre de fléchir le genou et de se prosterner devant lui. Mardochée seul refuse. Juif, il dira qu’il ne peut se prosterner que devant son seul Dieu. »

Aman se mit dans une violente colère et jura qu’il ferait périr non seulement Mardochée, mais avec lui, tous les Juifs du royaume.

(E. 3.7/14.) Il se rendit auprès du roi et lui dit. : « Il y a un peuple qui vit dispersé dans ton royaume et dont les lois sont différentes de celles de tes autres sujets. S’il te plaît donc, ordonne que cette nation soit exterminée ».

Assuérus ôta l’anneau de son doigt et le remit à Aman en lui disant: « Fais des Juifs ce que tu voudras. »

 Et Aman envoya dans toutes les provinces du royaume des lettres scellées du sceau royal par lesquelles il ordonna le massacre de la nation juive pour le 13 Adar. Le décret d’extermination des Juifs, fut préparé par Aman avec les pouvoirs que le roi lui avait donnés et il fut expédié par les courriers royaux.

 

IV. Mardochée et Esther devant le péril.

 

(E.4). « Sitôt instruit de ce qui venait d’arriver, Mardochée déchira ses vêtements et prit le sac et la cendre.  Puis il parcourut la ville en l’emplissant de ses cris de douleur, jusqu’en face de la Porte royale.

La reine est prévenue… « Mardochée lui enjoint d’aller chez le roi implorer sa clémence et plaider la cause du peuple auquel elle appartenait ».

Elle s’y refusa. « Il y a trente jours que je n’ai pas été invitée à m’approcher du roi … Et chacun sait que quiconque pénètre sans convocation chez le roi doit mourir, sauf si le roi lui fait grâce de la vie en lui tendant son sceptre d’or… »

Mardochée lui fit répondre :

« Ne va pas t’imaginer que, parce que tu es dans le palais, seule d’entre les Juifs tu pourras être sauvée. Si tu t’obstines à te taire quand les choses en sont là, le salut des Juifs viendra d’ailleurs. » (sous-entendu de Dieu, le rédacteur évitant d’écrire Son nom.)

Et Esther lui fit dire :

« Va rassembler tous les Juifs de Suse. Jeûnez à mon intention. Ne mangez ni ne buvez de trois jours et de trois nuits. De mon côté, avec mes servantes, j’observerai le même jeûne. Ainsi préparée, j’entrerai chez le roi malgré la loi et, s’il faut périr, je périrai. »

  

V.  La prière de Mardochée.

(E.4.13a). Extraits :

« Toi, tu connais tout !

Tu le sais, toi, Seigneur,

ni suffisance, ni orgueil, ni gloriole ne m’ont fait refuser de me prosterner devant l’orgueilleux Aman.

Volontiers, je lui baiserais la plante des pieds pour le salut d’Israël.

Ce que j’ai fait, c’était pour ne pas mettre la gloire d’un homme plus haut que celle de Dieu…

Je ne me prosternerai devant personne, si ce n’est devant toi, Seigneur.

Et maintenant Seigneur, épargne ton peuple. »

 

VI. La Prière d’Esther.

(E.4.17k). Extraits :

« O mon Seigneur, notre Roi, tu es l’unique !

Viens à mon secours car je suis seule

et n’ai d’autre recours que toi,

et je vais jouer ma vie.

Et moi, donne-moi du courage,

Roi des dieux et dominateur de toute autorité.

Mets sur mes lèvres un langage charmeur

lorsque je serai en face du lion,

et tourne son cœur à la haine de notre ennemi

et nous, sauve-nous par ta main. »

 

VII.   Esther se présente au palais

(E.5).  Le troisième jour, lorsqu’elle eut cessé de prier, elle quitta ses vêtements de suppliante et se revêtit de toute sa splendeur.

Elle prit avec elle deux servantes. Sur l’une d’elle, elle s’appuyait mollement. L’autre l’accompagnait et soulevait son vêtement.

A l’apogée de sa beauté, elle rougissait et son visage était comme épanoui d’amour, mais la crainte faisait gémir son cœur.

Franchissant toutes les portes, elle se trouva devant le roi. Il était assis sur son trône. 

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Gravure. Illustration de la Bible de Gustave Doré.
Ancien Testament. Evanouissement d’Esther.

 

Il leva son visage empourpré de splendeur et au comble de la colère, regarda.

Esther vient de s’évanouir.  Le roi est stupéfait.

Va-t-il se lever ?

« Dieu changea le cœur du roi et l’inclina à la douceur. Anxieux, il s’élança de son trône et la prit dans ses bras jusqu’à ce qu’elle se remit en la réconfortant par des paroles apaisantes.

« Qu’y a-t-il Esther, je suis ton frère ! Rassure-toi ! Tu ne mourras pas. Notre ordonnance ne vaut que pour le commun des gens. Approche-toi. » 

La première partie de la gravure de Gustave Doré avait déjà été traitée par Poussin:

 

9

Poussin. Esther devant Assuérus.

Ermitage. Saint-Petersbourg.

 

Déjà ici le roi marque sa stupéfaction devant l’évanouissement de la reine.

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Antoine Coypel. L’évanouissement d’Esther. 1705.

 

Le roi la prend dans ses bras. Et la reine s’effondre. Dans son évanouissement, son teint blêmit et elle appuie la tête sur la servante qui l’accompagne. » 

 

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Giovanni Andrea Sirani. Esther devant Assuérus. 1630.
Musée des beaux-arts de Budapest.

 

(E.5.2). « Et levant son sceptre d’or, il le posa sur le cou d’Esther, l’embrassa et lui dit : « Parle-moi ! »

« Seigneur, lui dit-elle, je t’ai vu pareil à un ange de Dieu. Mon cœur s’est alors troublé et j’ai eu peur de ta splendeur. Car tu es admirable, Seigneur, et ton visage est plein de charmes. »

Tandis qu’elle parlait, elle défaillit. Le roi se troubla et tout son entourage cherchait à la ranimer. »

 

« Qu’y a-t-il, reine Esther ? Dis-moi ce que tu désires, et serait-ce la moitié du royaume, c’est accordé d’avance ! »

« Plairait-il au roi de venir aujourd’hui avec Aman au banquet que je lui ai préparé ? »

Le roi et Aman vinrent ainsi à ce banquet. Et le roi redit à Esther : « Dis-moi ce que tu désires. »

Ce que je demande, ce que je désire, répondit Esther, c’est que demain encore, le roi vienne avec Aman au deuxième banquet que je leur donnerai.

 

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Rembrandt. Détail. 1660. 
Musée Pouchkine. Moscou.
 

 

VIII. La chute d’Aman.

 

(E 5.9) Aman tout joyeux.

Ce jour-là, Aman sortit joyeux et le cœur en fête. Mais quand, à la Porte Royale, il vit Mardochée ne point se lever devant lui, il fut pris de colère contre lui. Revenu chez lui, il convoqua ses amis et sa femme, il leur parla de son éblouissante richesse et de tout ce dont le roi l’avait comblé. Ce n’est pas tout, ajouta-t-il, la reine Esther vient de m’inviter avec le roi et moi seul. Et je suis encore invité par elle avec le roi le lendemain.

Mais que me fait tout cela aussi longtemps que je verrai Mardochée, le Juif, siéger à la Porte Royale ! »

Et sa femme lui dit : « Fais seulement dresser une potence de cinquante coudées et demande au roi demain matin qu’on y pende Mardochée. »

 

(E.6). Or, cette nuit-là, comme le sommeil le fuyait, le roi se fit lire le livre des Chroniques de son règne. Il vit comment Mardochée avait découvert la conspiration de deux de ses gardes. Alors le roi demanda à ses serviteurs : « Quelle récompense a-t-on accordée à cet homme?… Rien n’a été fait pour lui », répondirent les courtisans de service.

A ce moment Aman arriva au palais pour demander au roi de faire pendre Mardochée. Le roi en le voyant lui dit:  » Que dois-je faire à un homme que je veux honorer? « 

Aman pensait : « A qui le roi voudrait-il faire plus d’honneur qu’à moi ? » et il répondit: « Que le roi fasse revêtir cet homme de son propre vêtement, qu’il le fasse monter sur son propre cheval, que l’on place sur sa tête la couronne royale, et que le premier officier du palais le promène par la ville en criant:  » C’est ainsi que le roi honore celui qu’il lui plaît d’honorer! »

« Hâte-toi donc, dit Assuérus, de prendre le vêtement et le cheval et de faire pour Mardochée tout ce que tu as dit. »

Et Aman dut obéir.

 

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 Rembrandt. Mardochée et Aman. 1633.
Musée de la maison de Rembrandt. Amsterdam.

 

14

Illustration d’une partition de la fête de Pourim.

 

Sur la partie droite de l’image, le roi remet à Esther son sceptre d’or.

Sur la partie gauche, Aman à pied conduit Mardochée à cheval, déguisé en roi .

 

Après quoi Aman rentra précipitamment chez lui, consterné et le visage « voilé » (1), retrouver sa femme et ses amis. La conversation n’était pas achevée qu’arrivèrent les eunuques du roi venus chercher Aman pour le conduire en hâte au deuxième banquet offert par Esther.

(1)  Un signe équivalent à une condamnation à mort. On voilait la tête de ceux qui allaient être pendus. (Cf. note BJ : E.7b).

 

Le deuxième banquet.

(E.7). Et pendant ce deuxième banquet, le roi redit à Esther : « tout ce que tu me commanderas, c’est accordé d’avance. »

Et Esther : « Si vraiment j’ai trouvé grâce à tes yeux, ô roi, et si tel est ton  bon plaisir, accorde-moi la vie, voilà ma demande, et la vie de mon peuple, voilà mon désir. Car nous sommes livrés à l’extermination, à la tuerie et à l’anéantissement. »

Et Assuérus : « Qui est-ce ? Où est l’homme qui a pensé agir ainsi ?

Alors Esther : « Le persécuteur, l’ennemi, c’est Aman, c’est ce misérable ! »

Et Aman fut glacé de terreur.

Furieux, le roi se leva, quitta le banquet pour gagner le jardin du palais. Tandis qu’Aman demeurait près de la reine pour implorer la grâce de la vie, sentant bien que le roi avait décidé sa perte.

Quand le roi rentra, il trouva Aman effondré sur le divan où Esther était étendue.

« Va-t-il après cela faire violence à la reine, chez moi, dans le palais ? »

Et l’un des eunuques dit alors en présence du roi: « Justement, il y a une potence de cinquante coudées qu’Aman a fait préparer pour ce Mardochée qui a parlé pour le bien du roi.

« Qu’on l’y pende ! », ordonna le roi.

 

Aman fut donc pendu à la potence dressée par lui pour Mardochée, et la colère du roi s’apaisa.

 

In fine.

Comme le note la BJ, le décret sur l’extermination des Juifs qu’Assuérus avait accepté de signer à la demande d’Aman, s’accorde mal avec la politique de tolérance des rois perses de l’époque.

Une fois Aman pendu et Mardochée mis à sa place, Assuérus fit publier un nouvel édit pour annuler le premier, et les Israélites passèrent du deuil à la joie et célébrèrent des fêtes.

A la suite de cet édit, les Juifs des provinces royales se réunirent pour mettre leur vie en sûreté et se débarrassèrent de leurs ennemis en égorgeant quinze mile ou soixante-quinze mille de leurs ennemis, selon les versions, en les égorgeant mais sans se livrer au pillage. Il est moins vraisemblable encore qu’Assuérus ait autorisé ce massacre de ses propres sujets.

 

En mémoire de cette délivrance, Esther et Mardochée instituèrent pour le 14 Adar une fête que les Juifs célèbrent encore aujourd’hui chaque année : la fête de Purim (cf. BJ).

15

Mausolée d’Esther et de Mardochée à Hamedan.

 

L’un des centres de pèlerinage juif les plus importants en Iran.

 

Bien qu’aux dates données dans le récit, la reine des Perses, l’épouse de Xerxès, se nommait Amestris et que les Chroniques officielles du Royaume ne  mentionnent comme reines ni Vashti, ni Esther, je ne résiste pas à la tentation de vous faire lire ce commentaire à leur sujet :

« Les deux femmes du Livre d’Esther, Vashti et Esther, misent sur le risque pour arriver à leurs fins. Toutes deux ont une forte personnalité. Toutes deux sont courageuses et jouent le
tout pour le tout. Pourtant, Vashti perd et Esther gagne. Pourquoi l’une plutôt que l’autre?

La reine Vashti n’a pas le beau rôle et pas de chance. Nul ne vient à son secours, nul ne défend son honneur.

Désormais, c’est Esther qui occupera le premier plan. Elle fait son entrée au harem – qui sait pourquoi, dans le silence du texte : Enlevée par les hommes du roi? Poussée par une prudence inspirée de Mardochée? La tournure employée (Esth 2, 8: «elle fut prise») encourage plutôt la première interprétation. Elle ne sait pas ce qui arrivera. Sera-t-elle élue ou oubliée?

Dans l’incertitude, elle choisit d’être attentive aux événements. Son caractère aimable et son intelligence lui permettent d’agir avec discernement. Elle renonce momentanément à ses idéaux, met en réserve ses atouts pour les jouer au moment opportun.

Savoir attendre est la force de cette femme qui, dès le début de sa vie – elle est orpheline –, avait toutes les raisons de désespérer. Lorsqu’elle est choisie par le roi, puis comblée de bienfaits et d’amour, cela n’entraîne pas de privilèges pour les siens.

Il était pourtant courant, à cette époque et dans les sociétés de ce type, que les épouses royales fussent gratifiées d’avantages et de privilèges pour leur famille, leur religion ou leur peuple et c’est ce qu’elles attendaient de leur statut.

Rien de tel avec Esther. Elle ne fait connaître ni son peuple, ni son origine, ni les liens qui l’unissent à Mardochée. Dès le départ, elle manifeste une grande capacité à savoir attendre le moment
juste. Elle cache son origine jusqu’au repas décisif avec Assuérus et Aman. Sa révélation devient alors un élément essentiel de l’intrigue.

 

Lorsque Aman s’en est pris aux Juifs, y compris à Mardochée, il ne lui est pas venu à l’idée d’agir contre Esther car il ignorait qu’elle était juive. Au moment où, pris par surprise, il découvre son identité, il est déjà trop tard. Et quand, le moment venu, elle et son peuple prennent finalement le dessus, Esther renonce, dans la personne de ses compatriotes, à piller les biens des ennemis (9, 10, 15 et 16). Elle les met en réserve pour que Mardochée devenu grand vizir, les fasse fructifier. Elle ne cède jamais à l’impulsion du moment, ce qui ne signifie pas qu’elle ne sait pas risquer.

Car Esther n’est pas devenue reine pour son plaisir. Elle a accepté de l’être au risque de sa vie. Aucune promesse n’a accompagné non plus les paroles de Mardochée lui demandant d’intervenir (4, 8 et 4, 13-14).

Elle n’avait nulle garantie de la réussite de cette mission. Esther n’a pas entendu une voix surnaturelle, semblable à celle qu’ont perçue les prophètes, qui lui aurait dit: «Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi» (Jér. 1, 19).

Tout ce qu’elle a reçu comme aval fut un simple « Qui sait?» (4, 14). Et à cette parole de doute, elle a acquiescé.

Marcher dans le doute, sans savoir si elle atteindrait son but, sans savoir ce qui arriverait, ce fut pour Esther, c’est pour chacun de nous, la plus grande des aventures, celle de cheminer avec le Dieu qui n’est pas nommé…

Car ce qui est évident pour nous qui lisons aujourd’hui cette belle histoire et qui en connaissons la fin, l’était moins pour les acteurs qui participèrent aux événements. Eux vivaient dans l’incertitude de leur quotidien dans un pays étranger, sous la menace constante d’une persécution.

Marcher avec Dieu dans ces circonstances, c’était cheminer avec un Dieu qui n’est présent que par ses non-dits. Dans le livre d’Esther, ces non-dits sont plus puissants que tous les mots qu’on peut tisser ensemble. Dans le livre de nos vies, ces non-dits sont omniprésents. Savons-nous les lire ? » (Extrait d’un texte de Gilles Bernheim).

 

Fin de l’envoi sur « le Livre d’Esther ».
 

 

§ Une réponse à Deuxième conte: Esther.

  • philippe de chalendar dit :

    Merci, quelle belle histoire, quel superbe Rembrandt du musée Pouchkine! Quand au Sirani du musée de Budapest, il m’avait échappé: j’ y retourne!

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