Sixième Partie. La Saga des Patriarches. Chapîtres IX à XI

28 septembre 2012 § Poster un commentaire

Chapitre IX
Sodome et Gomorrhe.

Très vite après le début de l’histoire d’Abram, en nous parlant de sa séparation d’avec Lot (cf. plus haut VIIème partie Ch. IV), la Genèse nous avait indiqué, sans commentaire que « les gens de Sodome étaient de grands scélérats et pécheurs contre Yahvé (13, 13) ». Mais ni nos parents, ni nos catéchistes ne nous avaient dit en quoi consistait ce péché, et je ne me souviens pas le leur avoir demandé.
Nous savions seulement que Sodome et sa voisine Gomorrhe, les deux villes riches « de la plaine d’Orient », avaient été réduites en cendres, que Lot et ses filles avaient échappé à la mort mais que, pour avoir cédé à la curiosité et s’être retournée malgré les ordres de l’Ange de Dieu, sa femme avait été changée en statue de sel, ce que mon père n’arrivait pas bien à nous faire comprendre.

Bien des années plus tard, en 1962, après m’être rendu sur les bords de la mer Morte, chargée de sel, je lis le récit de l’apparition de Mambré (cf plus haut, chapitre VIII). Yahvé avait annoncé à Abraham (18, 14) : « A la même saison, l’an prochain, je reviendrai chez toi et Sara aura un fils. »

S’étant levés ensuite, les hommes de Mambré, (ils étaient deux, mais il semble ressortir du texte que Yahvé était avec eux) « partirent de là et arrivèrent en vue de Sodome. Abraham marchait avec eux pour les reconduire ».

I. L’intercession d’Abraham en faveur de Sodome

Yahvé ne cache pas à Abraham ce qu’il va faire… (18, 20) : « Le cri contre Sodome et Gomorrhe est bien grand ! Leur péché est bien grave ! Je veux descendre et voir s’ils ont fait ou non tout ce qu’indique le cri qui, contre eux, est monté vers moi… »
Abraham essaye d’intercéder, me disait déjà mon père, en faveur des justes qui pourraient se trouver dans la ville (18, 23) : « Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur ?… Loin de toi de faire cette chose-là !… Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville ?… »
Yahvé répondit : je pardonnerai à toute la cité à cause d’eux…

Mais Abraham n’est pas très sûr d’en trouver cinquante… S’il n’y en avait que quarante-cinq ?
Et Yahvé accepta encore… Quarante ?… Trente ?… Vingt ?… Seulement ?… Oui encore.
Et Abraham s’en retourna chez lui… Il avait fait ce qu’il pouvait. Mais il n’y avait même pas dix justes à Sodome…

II. Le soir à Sodome

Deux scènes d’une mosaïque de Monreale

A droite (19, 1/3), Lot a accueilli les deux anges chez lui.
« Lot était assis à la porte de la ville. Dès qu’il les vit, il se leva à leur rencontre et se prosterna, face contre terre…
« Je vous en prie, Messeigneurs ! Veuillez descendre chez votre serviteur pour y passer la nuit et vous laver les pieds, puis au matin, vous reprendrez votre route ». Ils répondent qu’ils veulent « passer la nuit sur la place (de la ville).» Sans doute, même si le texte ne le dit pas, pour voir ce qui se passe et rendre compte à Yahvé du résultat de leur enquête.
Mais Lot les presse tant qu’ils acceptent d’entrer dans la maison. Il leur prépara un repas, fit cuire des pains sans levain (annonce de la Pâque ?).
Sur la mosaïque, ils sont assis l’un à côté de l’autre, sur des trônes…

A gauche, « les gens de Sodome, depuis les jeunes jusqu’aux vieux, tout le peuple sans exception »… cernent la maison. Ils appellent Lot, qui entrouvre la porte. « Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Amène-les nous pour que nous en abusions. (19, 5)»
Le péché de Sodome, le vice contre nature, abominable aux Israélites qui le punissaient de mort, mais, répandu autour d’eux : comme l’écrit Yahvé dans le Lévitique ( 20, 23), « les nations que je chasse devant vous ont pratiqué toutes ces choses et je les ai prises en dégoût ».

(Gn. 19, 6) : « Lot sortit vers eux à l’entrée et, ayant fermé la porte derrière lui, il leur dit : « je vous en supplie, mes frères, ne commettez pas le mal ! ».
« J’ai deux filles, encore vierges, je vais vous les amener ; faites-leur ce qui vous semble bon, mais pour ces hommes, ne leur faites rien, puisqu’ils sont entrés sous l’ombre de mon toit… » Et la BJ de noter : L’honneur d’une femme avait alors moins de prix que le devoir sacré de l’hospitalité…

(19, 9/11) « Ils le pressèrent fort, lui, Lot, et s’approchèrent pour briser la porte… mais les hommes sortirent le bras, firent rentrer Lot auprès d’eux dans la maison et refermèrent la porte ».
Et ils frappèrent tous les gens de Sodome de cécité, selon Chouraqui, de berlue, écrit la BN, si bien qu’ils n’arrivèrent pas à trouver l’ouverture.

III. Sodome à l’aube

Les Anges insistent auprès de Lot : « Debout ! prends ta femme et tes deux filles… car Yahvé nous a envoyés pour détruire cette ville. »
Et comme il hésitait, ils le prirent par la main et l’en firent sortir…
« Mais ne regarde pas derrière toi et ne t’arrête nulle part dans la Plaine… » (19, 17)

IV. Le matin, au lever du soleil.

Encore deux mosaïques de Monreale

A gauche, la destruction de Sodome.
« Yahvé fit pleuvoir du soufre et du feu venant du ciel sur Sodome (et sur Gomorrhe). Et il renversa ces villes et toute la Plaine, et tous les habitants et la végétation du sol. »
Et « levé de bon matin, Abraham vit la fumée monter du pays comme celle d’une fournaise (19, 27/28).

A droite, la fuite de Lot et des siens.
Mais contrairement aux ordres de l’Ange de Yahvé, la femme de Lot – les femmes sont toujours curieuses, me disait-on – s’était retournée pour voir ce qui se passait derrière elle. Elle avait été aussitôt pétrifiée et changée en statue de sel…

Chapitre X.
Les filles de Lot.

I. De très rares artistes s’inspirent vraiment du texte biblique.

A. Le récit de la Genèse

Lot et ses deux filles sont supposés être les seuls survivants de la catastrophe qui vient de frapper toute la Plaine … Ils s’établissent dans la montagne et s’installent dans une grotte…
(19 , 31). « L’aînée dit à la cadette : « Notre père est âgé et il n’y a pas d’homme dans le pays pour s’unir à nous à la manière de tout le monde. Viens, faisons boire du vin à notre père et couchons avec lui : ainsi, de notre père, nous susciterons une descendance. »
(19, 33). « L’aînée vint s’étendre près de son père, qui n’eut conscience ni de son coucher ni de son lever… »
Même scène le lendemain soir pour la cadette…

Il est clair que pour le texte biblique, cet inceste est dû à la seule initiative des deux filles dans le but d’assurer leur descendance, sans aucun désir de leur père et sans même qu’il se soit rendu compte de ce qui a pu lui arriver pendant son sommeil.
Aucune impudicité, aucune culpabilité donc, aucune faute, a fortiori aucun crime. Peut-on même parler d’un inceste ? Il ne s’agit ici que de sauver la descendance d’un membre de la famille d’Abraham.
Très peu d’artistes pourtant ont choisi de nous montrer ce qui s’est passé. Je vais vous en montrer trois.

B. La vision du Guerchin

Le Guerchin (1591-1662). Lot et ses filles. (1651/1652). Musée d’Art, Tolède

Au loin, Sodome est ravagé par le feu, on aperçoit la femme de Lot changée en statue de sel.
Comme dans le texte biblique, ce sont bien les filles qui prennent l’initiative de faire boire leur père, chacune tenant une amphore pleine de vin et s’encourageant mutuellement. Assis au pied d’un arbre, Lot boit avec un plaisir évident, les yeux à demi-fermés, avant de s’endormir pour de bon, sans donner en aucune manière le sentiment qu’il souhaite coucher avec l’une ou l’autre de ses filles… Une image assez représentative du récit de la Genèse.
Dans le même esprit, le Guerchin a peint plusieurs autres images de cette scène qui se trouvent à Dresde, à l’Escorial, au musée des Augustins de Toulouse et au Louvre.

C. Il en est de même pour celle de Coypel.

Noël Coypel (1628-1707), L’ivresse de Loth. Musée des Beaux-Arts de Rennes.

Cette scène se passe de commentaires, notez tout de même l’harmonie extraordinaire des couleurs.

D. Et a fortiori pour celle de Chagall.

Chagall. Les filles de Loth. Gouache. 1931 Nice. Message biblique

Lot est couché, nu, aviné, un fond de verre à la main, tout à fait inconscient… Sa fille aînée lui a fait boire beaucoup de vin rouge. Elle aussi est complètement nue. Mais elle ne semble pas éprouver le moindre désir pour le corps de son père et se détourne même de lui. L’œil vide, elle ne regarde que cette bouteille qu’elle tient à la main pour lui redonner à boire s’il venait à se réveiller… Au dessus d’eux, la cadette, habillée de blanc comme une jeune fille encore vierge, semble attendre son tour…

II. Pour la quasi totalité des autres peintres, Lot est le principal responsable de ce qui s’est passé. Même si ses filles s’y sont assez facilement prêtées, c’est d’abord lui qui a voulu satisfaire sa sensualité d’homme.

Il me suffira de vous en montrer quelques exemples :

Simon Vouet

Simon Vouet. Loth et ses filles. 1633. Musée de Strasbourg

Nu sous son manteau bleu, Lot, malgré sa barbe et ses cheveux déjà gris, ne porte pas l’âge que lui donne le récit biblique. Il est plein de vigueur. Il a pris sur ses genoux, à bras le corps, cette ravissante jeune femme qu’il est en train de dénuder tout en la dévorant d’un regard chargé d’un désir impérieux. Elle ne demande qu’à se laisser caresser. Et la cadette qui tient à la main une amphore de vin, ici complètement inutile, regarde sa soeur avec une envie non dissimulée. A quand mon tour ?

Il ne s’agit plus ici du récit de la Bible, voire d’une condamnation de l’inceste, mais d’une scène de désir et d’érotisme de part et d’autre.
Cette représentation du nu féminin et du désir sexuel de l’homme ne pouvait que séduire, au temps de la Renaissance et après, les personnages vivant dans le luxe et le raffinement des palais italiens, des châteaux de la Loire et des résidences princières des grands financiers…
En témoigne le nombre d’artistes qui, avant et après Simon Vouet, ont choisi de présenter de la même façon l’épisode biblique de Lot et de ses filles.

Lucas de Leyde

Lucas de Leyde, Loth et ses filles. 1520. Musée du Louvre

A la différence de Vouet, Loth semble plus endormi et moins engageant. La scène est superbe, aussi bien au premier plan avec cette tente rouge et les rôles respectifs des deux filles, qu’au fond avec la vision de la destruction des deux villes. C’est assez rare car les artistes ne représentent généralement que Sodome.

Jan Matsys

Jan Matsys, Loth et ses filles. 1565. Musée royal des Beaux-Arts, Bruxelles.

Dans une pose aguichante pour le spectateur plus encore que pour Loth, la fille aînée prend l’initiative et Loth ne semble jouer qu’un rôle secondaire.

En témoigne aussi le succès rencontré par d’autres thèmes bibliques voisins, David et Bethsabée, ou encore Suzanne et les vieillards, tel que nous le montre par exemple ce tableau du Tintoret qui est au Musée de Vienne :

Le Tintoret, Suzanne et les vieillards. 1555. Musée de Vienne.

In fine
(19, 36 à 38) « Les deux filles de Lot devinrent enceintes de leur père… ». Un fils pour chacune. Moab pour l’aînée, l’ancêtre des Moabites d’aujourd’hui, Ammon pour la cadette. Leurs descendants respectifs, note la BJ, pouvaient tirer gloire d’une telle origine…

L’histoire de la destruction de Sodome, associée au salut de la famille de Lot, a peut-être été écrite comme un parallèle pour la Transjordanie avec celle du déluge qui fit périr une humanité remplie de violence, à l’exception de Noé et des siens regroupés dans l’Arche comme Lot et ses filles dans la grotte de la montagne de Juda. Une hypothèse dont j’essaierai de vérifier prochainement le bien fondé.

Chapitre XI.
Agar et Ismaël.

I. Deuxième épisode. Après la naissance d’Isaac

(21, 8/20). Quatre ans se passent. Abraham a cent ans… Et Sara a enfanté à son tour un fils à Abraham déjà vieux, au temps que Dieu avait marqué (voir plus haut).

(21, 8). « Abraham fit un grand festin pour le sevrage d’Isaac. Et Sara aperçut le fils d’Agar jouant avec Isaac ». La formulation employée souligne le mépris dans lequel Sara tient désormais l’Egyptienne et son enfant.
Et elle dit à Abraham : « Chasse cette servante et son fils… Il ne faut pas qu’il hérite avec le mien… »Cette parole déplut beaucoup à Abraham, mais Dieu lui dit : « Tout ce que Sara te demande, accorde-le… car c’est par Isaac qu’une descendance perpétuera ton nom, mais du fils de la servante, je ferai aussi une grande nation, car il est de ta race. »
Et Abraham fait partir Agar et son fils.

A. Le Guerchin

Le Guerchin (1591-1666). Abraham envoie Agar et son fils en exil. Brera. Milan

Un tableau très admiré par Stendhal en 1811, puis de nouveau en 1816, en compagnie de Byron.
Sara tourne le dos, on ne voit que son profil. Dur, sinon méchant. Abraham est un patriarche vénérable, triste mais ferme dans sa décision. Agar le regarde. Elle s’interroge. Pourquoi l’abandonne-t-il ? Est-ce définitif ? Ismaël se cache les yeux pour que son vieux père ne le voie pas pleurer contre le sein de sa mère.

B. Van Dyck

Van Dyck. Abraham renvoyant Agar et Ismael. 1718. Louvre

Sous le regard satisfait de Sara déjà âgée, Abraham renvoie, cette fois sans hésitation, la jolie et jeune Agar avec son petit garçon qui se retourne pour regarder son demi-frère Isaac avec affection.

II. Agar et son fils au désert

(21, 14) « Abraham se leva tôt, il prit du pain et une outre d’eau qu’il donna à Agar, et il mit l’enfant sur son épaule, puis il la renvoya ».
« Elle s’en fut errer au désert… Quand l’eau de l’outre fut épuisée, elle jeta l’enfant sous un buisson et elle alla s’asseoir vis-à-vis, loin comme une portée d’arc. Elle se disait en effet : « Je ne veux pas voir mourir l’enfant ! Et elle se mit à crier et à pleurer ».

Gustave Doré

Gustave Doré voit ainsi la détresse d’Agar ; Ismaël est étendu sur le sol, inanimé. A quelques mètres de là, Agar s’appuie sur un rocher, les bras tendus vers le ciel, elle crie son désespoir…
« Dieu entendit les cris du petit (21, 17) et l’Ange de Dieu appela du ciel Agar et lui dit :… « Ne crains pas…Debout ! Soulève le petit et tiens-le ferme…car j’en ferai une grande nation. » Et Dieu dessilla les yeux d’Agar et elle aperçut un puits…Elle alla remplir l’outre et fit boire le petit… »

B. Agar et Ismaël furent ainsi sauvés, comme l’Ange de Yahvé le leur avait promis : (21, 20) « Dieu fut avec lui, il grandit et demeura au désert et il devint un tireur d’arc… et sa mère lui choisit une femme du pays d’Egypte ». Comme plus tard son neveu Jacob, Ismaël eut douze fils (25, 12), et le récit biblique nous présente ses descendants comme ayant constitué plus tard le royaume d’Edom, de l’Assyrie aux frontières Nord de l’Egypte. Plus tard encore, les tribus de l’Arabie du Nord… Ce qui explique sans doute l’importance que le Coran leur attachera.

James Tissot

James Tissot. Ismaël chassant dans le désert. 1896. Louvre.

(Du même peintre, je vous ai déjà montré un Caïn emmenant Abel au champ, qui est au Musée d’Orsay).

A la génération suivante, Esaü, le fils chasseur et velu d’Isaac avait pris pour femmes, à quarante ans, deux filles Hittites. « Un sujet d’amertume » pour Isaac et Rébecca, ses parents (G n. 26, 34)…
Mais un peu plus tard, « il vit (28, 6) qu’en le bénissant, Isaac avait dit à Jacob de ne pas prendre une femme parmi les filles de Canaan ». Il décida alors, en plus des femmes qu’il avait déjà, d’en prendre une autre, Mahalat, qui soit fille d’Ismaël.
Les descendants d’Abraham doivent perpétuer la race en épousant des filles de la « famille ». Celle-ci incluant bien entendu la postérité des servantes que, faute de pouvoir enfanter elles-mêmes, leurs épouses légitimes avaient mises dans le lit conjugal… Autres temps, autres mœurs. Les rédacteurs du récit biblique ne semblent pas y avoir trouvé à redire, du moins jusqu’à la mise en forme définitive de la Torah. Et encore…

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