Images de la Trinité dans l’art chrétien. Deuxième envoi.

13 septembre 2013 § Poster un commentaire

Chapitre IV. La Trinité dans les Couronnements  de la Vierge.

Le culte de la Mère de Dieu prend de plus en plus d’importance en Occident à la fin du Moyen Age. Particulièrement en France…

Et les peintres sont invités à exprimer la joie que les trois personnes de la Trinité éprouvent à couronner la Vierge Marie ou à la voir couronner par le Fils …

Un thème très répandu dans toute l’Europe au XVème et jusqu’au début du XVIème (Cf. FB p.270 à 279). Je me limiterai à trois peintres. 

I. Deux miniatures de Jean Fouquet.

Jean Fouquet. Le couronnement de la Vierge par la Trinité. 1452-1460.  Pour les Heures d’Etienne Chevalier. Chantilly. Musée Condé.

Jean Fouquet. Le couronnement de la Vierge par la Trinité. 1452-1460.
Pour les Heures d’Etienne Chevalier. Chantilly. Musée Condé.

Les trois Personnes sont rigoureusement semblables dans l’unité du Dieu trine. Le Fils est simplement placé à la droite du Père et c’est lui qui couronne sa Mère, en présence du Père et de l’Esprit.

 Les trois personnes de cette Trinité portent les mêmes longues robes blanches de cérémonie, elles ont les mêmes figures. Une monarchie tricéphale…

 Elles étaient assises côte à côte sur trois coussins de velours vert posés sur les trois sièges en bois doré d’un unique trône, que surmontent des séraphins dansant à la gloire du Dieu un et trine.

De chaque côté, à droite et à gauche, sur trois niveaux, des rangées d’anges, en bleu, en orange, ou portant une robe rouge…

 L’une des trois personnes, cependant, vient de se lever. Elle a déposé sur son siège le globe qu’elle tenait comme les autres de la main gauche et, debout au milieu du tableau, elle place une couronne sur la tête d’une jeune femme agenouillée, recouverte d’un somptueux manteau de velours bleu dont la traîne s’étale sur le carrelage du sol du palais. Une si belle reine, désormais associée à cette  royale Trinité.

Jean Fouquet. Adoration de la Trinité. 1452-1460. Dimension : 10 par 16 cm Pour les Heures d’Etienne Chevalier. Chantilly. Musée Condé.

Jean Fouquet. Adoration de la Trinité. 1452-1460.
Dimension : 10 par 16 cm
Pour les Heures d’Etienne Chevalier. Chantilly. Musée Condé.

C’est  la suite et la fin de la scène du couronnement.

 Le Fils a repris sa place sur son trône à côté du Père et de l’Esprit. Tous les trois semblables. Marie est assise sur le sien, très légèrement en retrait, sur le côté, de profil. Les quatre vivants sont à leur place dans chacun des angles. Un cercle de feu composé de séraphins entoure la scène brillamment éclairée de ce théâtre céleste.

 Plongée dans la pénombre, l’assemblée des bienheureux trouve place dans un vaste espace  circulaire qui se serait refermé vers son sommet. Comme l’intérieur  d’un immense cylindre.  En haut, les anges, d’un bleu céleste, collés aux parois, semblent suspendus dans le vide. Plus bas, Des élus, clercs et laïcs, martyrs ou non, sont assis, serrés les uns contre les autres sur les bancs de cet étrange amphithéâtre. « Chacun porte quelques traits d’or sur le front ou sur les épaules » (cf. FB, p.257).

 « Vue de dos, une foule compacte d’élus fait irruption dans cet espace, convergeant depuis les côtés jusqu’à l’allée centrale » (id.), laissée libre par ceux qui sont déjà à leur place sur les gradins…  La salle est comble…

II. Enguerrand Quarton. Le Couronnement de la Vierge par la Trinité.

La plus belle des images à mes yeux, et la plus riche d’enseignements sur la liturgie du Paradis.

L’exil du pape en 1309 avait duré. Grégoire XI était bien retourné à Rome. Mais son successeur italien s’était rendu odieux aux cardinaux et le roi de France avait fait élire un pape français Clément VII qui s’était de nouveau installé à Avignon…Un anti-pape…Un scandale inouï en Europe… Le temps du grand schisme qui durera jusqu’au concile de Constance en 1415…

Avignon était devenue la capitale heureuse de l’Europe chrétienne, celle évoquée par Daudet  dans La mule du pape.

« Le faste de la cour pontificale, l’afflux des richesses, la construction et l’ornementation du Palais des papes, des églises et des couvents avoisinants avaient attiré des artistes de tous les pays. »

 Parmi eux Enguerrand Quarton, un peintre venu du Nord (Laon), fuyant un pays ravagé par la guerre de cent ans. Il est à Avignon en 1447.

Le retable que les chartreux de Villeneuve-lès-Avignon lui commandent sera installé derrière la clôture,  pour les moines et pour eux seuls.

Ces chartreux révéraient la Trinité et ils avaient un culte pour la Vierge.

Passée devant notaire, la commande est  détaillée et précise…

Enguerrand Quarton. Le Couronnement de la Vierge par la Trinité. 1453.   Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Musée Pierre de Luxembourg.

Enguerrand Quarton. Le Couronnement de la Vierge par la Trinité. 1453.
Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Musée Pierre de Luxembourg.

« Du Père au Fils, il n’y aura aucune différence ».

L’un et l’autre seront représentés sous des traits identiques, comme de parfaits jumeaux.

Au même âge, ici celui du Christ adulte, barbe blonde et longue chevelure également blonde, habillés chacun de la même robe blanche recouverte du même grand manteau de velours rouge vif. Ils font les mêmes gestes et les bouts des grandes ailes immaculées de la colombe semblent toucher les bouches de l’un et de l’autre, comme pour affirmer l’union complète des trois personnes…Mêmes nimbes dorés et crucifères pour les trois, à la même hauteur.

Le couronnement de la Vierge.

Marie est ici une toute jeune femme. Sur sa robe de damas rouge et or, qui ressemble à une chasuble, elle porte un somptueux manteau de velours bleu doublé de blanc. On n’en voit que le bas. Il s’ouvre largement sur le monde, comme celui des Vierges de miséricorde si populaires dans l’art chrétien en Orient et plus encore en Occident du XIIIème siècle jusqu’à la fin du XVIème.

Les deux mains gauches du Père et du Fils posent sur sa tête blonde une couronne d’or sertie de pierres précieuses… sur laquelle se posera ensuite la colombe elle-même…

 En retrait, derrière la Trinité et la Vierge, et les entourant, dans la lumière rouge du feu céleste, d’innombrables séraphins aux ailes dressées et entrecroisées.

Au même niveau, au fond, deux archanges rythment la composition : Michel à gauche, Gabriel à droite portant un étendard avec les paroles de la salutation angélique. Leurs ailes bleu noir font écho aux ailes blanches de la colombe.

Juste en-dessous, à gauche, les patriarches, vêtus à l’orientale et à droite, les apôtres, visages de pêcheurs du lac de Tibériade, ou de l’étang de Vaccarès.

Encore en dessous : d’un côté, un  pape et des cardinaux, de l’autre, des diacres et des martyrs.

Plus bas, des saintes femmes : Catherine d’Alexandrie, celle qui était apparue à Jeanne d’Arc, la fiancée mystique du Christ, qu’elle désigne de son doigt levé. Derrière elle, les Saintes Maries de la mer…  

Au même niveau, à gauche, quatre fondateurs d’ordres religieux : François recevant les stigmates rayonne sur les trois autres.

Plus bas encore… au cinquième niveau, « les puissants de la terre » : un roi,  un cardinal, l’empereur et le pape, en vert… En face, des laïcs, qui annoncent la vogue des portraits individualisés.  

Les saints Innocents massacrés à Bethléem ne sont pas oubliés. Adorables enfants aux cheveux bouclés, ceinturés de myrte, agenouillés à droite et à gauche sur de petits nuages.

Deux haies d’honneur ainsi sur six niveaux de part et d’autre de la Trinité et de la Vierge. Un ensemble céleste qui occupe les quatre cinquièmes de cet immense tableau (1m,83 de haut, 2m,20 de large). 

En bas le Crucifié au centre, très haut dressé sur sa croix, au-dessus de la bande de nuages, blanc grisâtre, qui ferme l’horizon. Son corps se détache sur un ciel noir opaque, seul lien de la terre avec l’autre monde…

Sur cette terre, finement dessinées et peintes de couleur claire, l’une et l’autre entourées de  remparts :

1. Rome à gauche, l’Occident… avec le Château Saint Ange, l’église Saint Pierre et l’avenue qui conduit de l’un à l’autre…

Plus à gauche encore, la messe miraculeuse de saint Grégoire…

Dieu, enfin, appelant Moïse du Buisson ardent, symbole pour les Chartreux de l’appel à la vie contemplative…

Tout au fond, le mont Ventoux.

2. Jérusalem à droite, identifiable au temple de Salomon, précédé de colonnettes un peu irréelles. Sur les remparts, des tours à bulbes évoquant un Orient de fantaisie. 

Entre les deux, le Golgotha… Au pied de la croix, un chartreux en prière, devenu un habitant des cieux. Son attitude est celle du donateur. Il représente le monastère qui a fait réaliser le retable.

Derrière  le Golgotha, se rejoignent le Tibre et la mer.

En dessous encore, côte à côte, mais bien séparés, les trois lieux souterrains de l’au-delà : de gauche à droite, les limbes pour ceux qui sont morts sans avoir pu être baptisés, le purgatoire où les âmes attendent qu’un ange vienne les chercher pour les emmener au ciel, l’enfer enfin où les damnés commencent à souffrir dans les  flammes.

On est ici au cœur de l’histoire du monde et de la théologie chrétienne du milieu du XVème siècle.

Les commanditaires et le peintre lui-même ignorent toute démarcation entre le naturel et le surnaturel, l’ici-bas et l’au-delà. En cela, ce tableau est un parfait résumé de la foi des chrétiens dans la deuxième partie du Moyen-Age.

C’est, je crois, le  plus impressionnant des couronnements trinitaires…  Il m’incite à  me pencher prochainement avec vous sur la place de la Vierge Marie comme mère de Dieu et reine de l’univers.

III. Le Greco. Le couronnement de la Vierge.

 

Le Greco. Le couronnement de la Vierge. 1590. Prado.

Le Greco. Le couronnement de la Vierge. 1590. Prado.

Un merveilleux tableau, immatériel, spirituel…

Ni saints, ni donateurs. Tout se passe dans les hauteurs, sur un nuage de gloire où j’entrevois seulement quelques anges dont la présence discrète nous confirme que nous sommes bien dans les cieux.

Cette fois, à la fin du XVIème, le Père et le Fils n’ont plus du tout la même figure.

A droite, le Père est un beau vieillard qui porte la même longue barbe blanche et le même grand manteau blanc que lors du baptême de son Fils (cf. image du Blog n°13 sur le Saint Esprit ).

Le Fils est du côté gauche, c’est-à-dire qu’il est assis à la droite du Père, comme le veut le Credo, le visage encore jeune, la barbe claire et plus courte, revêtu d’une robe rose, le rose du Greco, et d’un manteau de velours vert.

On les sent en parfaite communion l’un avec l’autre, tenant de la main gauche une longue et mince tige dorée, peut-être un sceptre, signe de leur égale souveraineté, et, de la droite, la couronne d’or, rehaussée de pierreries, qu’ils s’apprêtent à poser d’un même geste sur la tête de la Vierge.

Les mains jointes en prière, celle-ci lève les yeux vers le visage de son Fils. Elle porte comme lui une robe rose et un manteau de velours vert.

Au-dessus d’eux, tout en haut du tableau, planant au centre d’une traînée d’or qui déchire les nuées, la colombe de l’Esprit, ferme le triangle trinitaire, au sein duquel la Vierge semble avoir pris sa place. Reflet de la dévotion populaire qui la vénère presque à l’égal des trois personnes divines…

Ici encore, elle est le portrait de cette femme que le Greco a aimée, morte jeune, la mère de son fils Jorge Manuel.

Encart.

Le Greco a peint plusieurs autres Couronnements de la Vierge par la Trinité.

L’un  pour le Monastère de Guadalupe, à Talavera la Vieja.

Un autre pour l’hôpital de la Charité d’Illescas (entre Tolède et Madrid).

Un troisième qui est à New York. (Riverdale-on-Hudson. Stanley Mosss  and Co.)

Fin de l’encart.
 
 

Deuxième partie. La Trinité dans l’Orient byzantin.  

 

Liminaire

En Orient, une doctrine et une pratique « anciennes, argumentées, homogènes, cohérentes, volontaires, une règle du jeu assez stricte » (cf. Léonide Ouspensky. La théologie de l’icône dans l’Eglise orthodoxe. Apres 1978. Cerf. Cité par FB. La pensée des images. op.cit. p. 23 et 24).

L’icône est une rencontre d’âme à âme passant par un échange de regards qui congédie le monde environnant.

Je vous en montrerai ici une seule, venant du Mont Athos : le monogène dans le sein du Père : une « paternité ».

Dieu le Père tient sur ses genoux ou dans son giron son Fils beaucoup plus petit que lui, comme la Vierge tient son enfant.

Ce type d’image viendrait peut-être de la phrase du  Prologue de Jean disant du Fils unique de Dieu « qui est dans le sein du Père ».

Paternité de l’Ancien des jours, miniature de la fin du XIème siècle, Mont Athos, monastère de Dionysiou.

Paternité de l’Ancien des jours, miniature de la fin du XIème siècle, Mont Athos, monastère de Dionysiou.

Chapitre I. Un chef d’œuvre pour commencer :  La Trinité d’Andrei Roublev. 

Roublev. La Trinité. Début du XVème siècle. Moscou. Galerie Tretiakov

Roublev. La Trinité. Début du XVème siècle.
Moscou. Galerie Tretiakov

Sur un coffre, revêtu d’une nappe d’un blanc immaculé, comme celui des auréoles des anges, il n’y a plus d’aliments, seulement une coupe, symbole de la communion intérieure dans l’intimité du Dieu trine, annonce peut-être aussi de l’Eucharistie.

Pour éviter tout risque d’idolâtrie, le peintre n’indique pas le nom de la personne de la Trinité représentée par chacun des anges. Sinon par des symboles, qu’il faut apprendre à déchiffrer.

L’ange Père, l’ange Fils, l’ange Esprit… Leurs figures sont semblables, leurs ailes aussi… Leurs robes et leurs manteaux ne se distinguent que par la couleur.

La robe de l’ange Fils est rouge sang, signe de la Passion, le manteau de l’ange Esprit vert tendre, signe de l’espérance et du renouveau, et le drapé de l’ange Père associe un brun rosé à des reflets verdâtres comme pour exprimer les liens directs qui uniraient le Père et avec son Fils et avec l’Esprit. Mais le manteau de l’ange Fils et les robes des deux autres ont le bleu en commun, signe de leur commune nature divine.

Trois signes distincts au-dessus des têtes : à gauche,  la porte du ciel, ou de la Jérusalem céleste, au milieu, un arbre, un chêne, symbole de vie, à droite, enfin, un rocher.

En 1555, un concile de l’Eglise russe a qualifié l’œuvre de Roublev d’icône parfaite, non seulement pour sa beauté propre, mais aussi pour la qualité de la vision théologique qu’elle a su exprimer.

Les trois anges du chêne de Mambré sont ainsi devenus le symbole de cette mystérieuse union d’amour dans lequel vivent les trois personnes de la Trinité.

Après redécouverte et nettoyage à Moscou à la fin du XIXème siècle, ce chef d’ouvre a été « découvert » en Occident après la guerre et il y a connu depuis une très large diffusion.

Chapitre II. D’autres images  de l’apparition des trois personnes au chêne de Mambré.

Elles sont le plus souvent antérieures à la Trinité de Roublev…

Abraham avait déjà entendu à plusieurs reprises, l’appel de Yahve.  Une première fois (Gen. 12) pour qu’il quitte son pays et se rende en Canaan. Ensuite (Gen. 13, 14), pour lui montrer « le pays qu’il lui donnera à lui et à sa postérité ». Puis, dans une vision (Gen.15, 2 à 4) pour lui promettre « une descendance issue de son sang ». Enfin (Gen 17. 1 à 14), lors d’une apparition, l’institution d’une alliance « entre moi et toi » « Tu deviendras père d’une multitude de nations… mais tous vos mâles devront être  circoncis de génération en génération »… 

Cette fois, le texte (Gen. 18, 1 et 2) précise que Yahvé lui « apparut au Chêne de Mambré, tandis qu’il était assis à l’entrée de la tente, au plus chaud du jour ». « Ayant levé les yeux, voilà qu’il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui ; dès qu’il les vit ; il courut de la tente à leur rencontre et se prosterna à terre. »

La BJ note ici : « Non point une adoration, un acte de culte, mais une simple marque d’hommage. Abraham ne reconnaît d’abord dans ses visiteurs que des hôtes humains. » 

Mais il dit à Sara de faire des galettes et il courut au troupeau prendre un veau « tendre et bon » qu’il fit apprêter. (Gen. 18, 6-10)

Le texte hésite entre le singulier et le pluriel : Yahvé seul… Trois hommes… Yahvé accompagné de deux hommes…

Mais tandis que Yahvé se tenait encore devant Abraham pendant qu’il essayait d’intercéder auprès de Lui en faveur de Sodome, les deux « hommes » (18, 22), sont devenus deux Anges (19, 1), qui seront accueillis par Lot, à l’entrée de sa maison de Sodome et le protégeront des  menaces des Sodomites.

Les premiers Pères ont donc d’abord vu dans cette apparition une préfiguration du Verbe entouré de deux anges (Justin, Irénée, Origène et Clément d’Alexandrie), puis, à partir du IVème siècle, celle des trois personnes de la Trinité éternelle dans leur unité fondamentale, telle que les Conciles venaient de la définir.

Outre la Trinité de Roublev, je retrouve des images de cette scène dans tout l’Orient byzantin, à Ravenne, en Cappadoce, en Sicile, à Venise… aujourd’hui encore sur les icônes des églises orthodoxes les plus récentes, et bien entendu à Nice qui abrite le chef d’œuvre de Chagall, l’hospitalité d’Abraham…

Ci-dessous deux de ces images qui me semblent appeler chacune une interprétation différente :

 

 

Saint Vital. Ravenne. VIème siècle.

Saint Vital. Ravenne. VIème siècle.

Dans la mosaïque de Saint Vital à Ravenne, il y a bien trois visiteurs, tous trois  nimbés, mais sans ailes, et je pense que ce n’est pas encore une préfiguration de la Trinité, mais seulement le récit de l’hospitalité d’Abraham avec sur la table les galettes préparées par Sara et le veau « bon et tendre » qu’apporte le patriarche,  l’annonce aussi de la naissance d’Isaac et déjà, à droite de la scène principale,  celle de son sacrifice que la main de Dieu arrête à la dernière seconde…

Mosaïque de la  Chapelle palatine. Palerme. A partir de 1130.

Mosaïque de la Chapelle palatine. Palerme. A partir de 1130.

Les trois jeunes gens de Ravenne sont devenus de vrais anges aux grandes ailes brun clair, leurs visages sont merveilleux de finesse. Ceux du  Père et de l’Esprit, aux deux extrémités, regardent  Abraham. Celui du Fils, au centre, tourne la tête de l’autre côté, l’air songeur.

Les couleurs de leurs robes sont différentes :

– bleu et rose, pour l’ange de gauche, le Père à mon avis,

– brun clair pour celui du milieu, couleur de la terre, le Fils,

– vert sombre, pour celui de droite, l’Esprit Saint.

Ce ne sont plus des nimbes qui entourent leurs têtes, mais de fins cercles de couleur vive. Bleu clair pour le Père, à gauche, et l’Esprit, à droite ; rouge, la couleur du sang  sacrificiel, pour le Fils, qui est le seul à lever sa main droite, comme pour  bénir le pain et les offrandes posées sur la table. Et l’on voit à gauche le pot de lait  qu’Abraham leur apporte… A moins que ce ne soit du vin… comme celui que lui offrit Melchisédech… Préfiguration de la Trinité sans doute, peut-être de la Cène.

 

Chapitre III. De rares autres images trinitaires en Orient Byzantin.

L’hospitalité d’Abraham est de loin la principale image du mystère trinitaire dans l’art chrétien d’Orient. Et cela reste vrai de nos jours ( FB op.cit. p. 127).

Mais il y en a aussi quelques autres, très peu nombreuses.

En voici deux : 

A. Une très intéressante miniature du XIIème siècle traitant d’un sujet rare en Occident.
L’envoi de l’ange Gabriel par la Trinité. Miniature du XIIème siècle.  Dans un manuscrit des Homélies de Jacques de Kokkinobaphos. Paris. BNF.

L’envoi de l’ange Gabriel par la Trinité. Miniature du XIIème siècle.
Dans un manuscrit des Homélies de Jacques de Kokkinobaphos. Paris. BNF.

Un moine prédicateur commente le Protoévangile de Jacques, un apocryphe du début du IIème siècle qui s’appuie sur une phrase de Luc, « L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu… » Et Marie ayant dit « oui » à l’annonce de l’ange, ce sera l’Incarnation du Verbe…

L’envoi de Gabriel était bien une décision majeure pour la Trinité… L’illustrateur du manuscrit a considéré qu’Elle a dû pour la prendre, se réunir en son Conseil, entourée de la cour des anges.

L’icône témoigne d’une foi profonde et d’une grande imagination… L’essentiel est dit.

La Trinité ? Trois  hommes  jeunes, qui se  ressemblent. Gardés par quatre séraphins. Ils sont assis sur un trône, qui a la forme d’un canapé garni de coussins rouges. Celui qui préside, sans doute le Père, est un peu plus grand que les deux autres, qui se tournent légèrement vers lui. 

L’ange Gabriel s’est déjà envolé en direction de la terre. Un de ses collègues  applaudit… 

B. Une trinité verticale plus tardive.
Une Trinité verticale. 1674.  Venise. Institut hellénique.

Une Trinité verticale. 1674.
Venise. Institut hellénique.

Le Père est tout en haut, manteau immaculé et longue barbe blanche comme dans la Trinité du Greco couronnant la Vierge.

Le Christ, une figure de Pantocrator, est assis au centre d’un très grand cep de vigne,  les deux mains ouvertes pour bénir, un livre posé sur les genoux.

Sur les branches du cep, douze apôtres (ou des prophètes)… Six d’entre eux, tiennent eux aussi un livre sur leurs genoux… L’un d’entre eux est fermé. Pourquoi ?

Une petite colombe plane entre le Père et le Fils.

« Je suis le cep et vous êtes les branches »…

 

In fine.

Un mystère au-delà de notre entendement.

I. Ces images de la Trinité seront mises en cause au XVIIIème siècle, dans un contexte de la mort de Dieu chez les élites intellectuelles.

Elles pourront survivre dans l’art populaire des campagnes, mais on ne les trouvera plus dans les images sulpiciennes du XIXème et de la première moitié du XXème, éditées pour les premières communions, les confirmations et les décès (mémentos).

Dieu n’est plus aujourd’hui un sujet pour les artistes. Il n’a plus ce caractère d’évidence – légitime ou trompeuse, peu importe ici – qu’il semblait avoir eu pendant des siècles. A fortiori en est-il ainsi de la Trinité, plus mystérieuse encore, impossible à comprendre et donc à représenter.

 

II.  Même pour les mystiques, même pour les plus grands théologiens, le mystère lui-même demeure toujours insondable… 

  Benozzo Gozzoli. Vie de saint Augustin. 1464-1465.  San Gimignano.


Benozzo Gozzoli. Vie de saint Augustin. 1464-1465.
San Gimignano.

A droite, à l’extérieur d’une église, sous le ciel bleu de Carthage, le docteur de l’Eglise est en train de lire à ses disciples un passage de l’Ecriture…

 A gauche, les laissant un peu en arrière, le saint est descendu marcher un instant au bord de la mer. Un petit enfant est là, qui creuse un trou avec ses mains dans le sable.

 « Que veux-tu faire ? », lui demande Augustin, selon la Légende… « Je veux  mettre dans ce trou toute l’eau de la mer »…  « Tu n’y arriveras jamais », lui aurait dit le saint … « Toi non plus, ne cherche donc pas à comprendre le mystère de la Sainte Trinité. »

III. Dans le passé, la Trinité a parfois été symbolisée par un triangle immuable et immobile, analogue à celui des Francs-Maçons. Au centre, l’œil de Dieu ou, à partir du XVIème siècle, le nom de Jéhovah, inscrit en Hébreu…

Un «oeil tout-puissant», venant de loges italiennes, inscrit dans un triangle et entouré d’une couronne de rayons, comme symbole de la Trinité.

Je préfère imaginer pour ma part, cette Trinité à l’intérieur d’un cercle unique, comme trois points en mouvement, chacun en relation constante avec les deux autres dans une communion parfaite.

Ou encore comme le tourbillon dans lequel Elie est entré sur son char de feu…

IV. Certains de nos  contemporains, et des chrétiens parmi eux, ne comprennent pas pourquoi des théologiens tiennent absolument à tenter de pénétrer dans ce mystère de l’intimité de Dieu. En quoi en ont-ils besoin pour vivre leur vie d’homme et pour essayer d’être un peu plus proches des autres ?

Je leur répondrai d’abord qu’il y a encore aujourd’hui des mystiques, des vrais… et que la Trinité peut avoir une signification pour eux.

Un père jésuite qui avait du bon sens et un jugement sûr, me racontait il y a bien longtemps, qu’entrant un soir dans la petite chambre que sa mère occupait entre 1930 et 1940 dans une maison de retraite, il l’avait  trouvée en état de lévitation. Elle avait une dévotion particulière pour la Trinité. C’est, croyait-il, immergée dans la contemplation de la beauté absolue de ce mystère qu’elle s’était trouvée soudain détachée de tout contact avec les choses de la terre… Comme elle l’est peut-être aujourd’hui en un mystérieux ailleurs.

 Est-ce pour cela que des personnes comme cette vieille dame ont pu adresser  silencieusement le message dont avaient besoin, à un moment donné de leur existence, des êtres qu’elles avaient pu rencontrer au cours de leur vie terrestre ?…

 Rencontrer… Ou peut-être  aimer ?

V.   Pour celles-là,  et pour d’autres,  la Trinité éternelle n’est pas seulement un mot.

Françoise Dolto s’adresse à Jésus: « Ce n’est pas pour rien que Vous avez plongé le monde dans cette dynamique d’amour qui circule entre les trois personnes de la Trinité dans l’éternel aujourd’hui de Dieu. »

L’abbé Pierre écrit de son côté : « Si Dieu est amour, il ne peut être que fécond, et cette fécondité ne peut pas ne pas s’exprimer déjà dans le mystère de son être. »

Et le père Finet disait à Châteauneuf : « Pour les théologiens, pour les mystiques, le Père engendre le Fils en aimant, le Fils se laisse engendrer en aimant, et tout se passe dans l’Esprit d’amour, l’esprit de vie du Dieu vivant, l’en haut du Très haut… » 

Pourrons-nous reconnaître un jour, sinon avant notre mort, du moins après, que tout, en Dieu, en nous et entre nous est relation mutuelle ? Ce n’est pas par hasard  que Jésus a prié pour nous son Père : « Qu’ils soient un comme nous sommes un »…

Voir dans cette relation intra-trinitaire, un modèle proposé pour faire avancer notre regard, pour nous inviter à entrer  dans des liens interpersonnels, mais sûrement

pas par fusion… En toute liberté.

Sans doute faut-il renoncer aux interrogations. Parce que la vérité n’est pas démontrable par notre seule raison raisonnante, celle des héritiers du temps des lumières…

Si nous avions la réponse, disait le père Joseph Pierron, si nous pouvions accéder à la Vérité, nous serions du côté de Dieu…

Aucune certitude rationnelle donc. Seulement une espérance. Qui suffit.

Fin des deux envois sur les images de la Trinité.

 

 

 

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