Marie, mère de Jésus et mère de Dieu. Ier envoi.

20 septembre 2013 § 1 commentaire

Premier envoi

Chapitre I. L’annonce faite à Marie

I. Le récit de Luc en images.

 Les « Annonciations » des peintres chrétiens s’inspirent le plus souvent des différentes étapes du récit de Luc (I. 26-38), un poème, composé comme une pièce de théâtre classique, avec un prologue, trois actes, et un dénouement.

A.  Prologue (quand il y en a un).

L’ange se hâte en chemin et sourit à l’avance de ce qu’il va dire à la Vierge.

Carlo Crivelli. 1486. Annonciation. Londres. National Gallery

Carlo Crivelli. 1486. Annonciation. Londres. National Gallery

Un étonnant tableau. 

Beaucoup d’animation dans cette petite ville italienne qui n’a rien à voir avec Nazareth telle que nous pouvons l’imaginer au temps de Jésus…

Dans la rue qui mène à la maison de Marie, l’ange s’avance, tout joyeux, accompagné d’un petit évêque mitré, Emidio, le saint patron de la ville qui porte avec lui la maquette d’une église à construire. Restera-t-il avec l’ange pour l’offrir à la Vierge ?

Une maison Renaissance. Un intérieur modeste : un lit, un prie-Dieu, des provisions sur une étagère. Marie est penchée sur son livre de prière.

Venant du Ciel, un rayon lumineux traverse la muraille à travers un anneau ouvert dans le mur. Il porte une toute petite colombe prête à se poser sur la tête de la Vierge.

Sur le rebord du toit, un paon, une queue superbe, symbole d’éternité ?

B. Premier acte.
Annonciation. Simone Martini. 1333 Détail. Florence. Offices.

Annonciation. Simone Martini. 1333
Détail. Florence. Offices.

La salutation angélique. « Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi »Une parole créatrice, l’annonce d’un don gratuit. Tu es aimée.

 Mais Simone Martini nous montre la Vierge surprise, intimidée, bouleversée. Elle se demande ce qui lui arrive, elle ferme à demi les yeux et les lèvres, elle replie le bras droit sur sa poitrine comme pour se protéger… Elle ne pose pas de questions, elle se tait, elle attend.

 Ce que dit Luc (Lc. 1, 29) à la fin de ce premier acte : « A ces mots, elle fut très troublée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation ».

 C.  Deuxième acte.
Fra Angelico. 1434. Florence. Musée San Marco.

Fra Angelico. 1434.
Florence. Musée San Marco.

Ce merveilleux petit tableau surmonte une Adoration des mages. L’ensemble provient d’un retable du  couvent dominicain de Santa Maria Novella.                                                                                                                                                                   

 En haut, sur un fond de ciel bleu, Dieu le Père, christomorphe, est auréolé d’un nimbe d’or et sa main gauche porte un globe également en or.  De la main droite, il envoie vers la tête de la Vierge, une petite colombe blanche, nimbée d’or elle aussi,

 

 L’ange va reprendre la parole (Lc. 1, 30) : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu… Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il règnera pour toujours sur la famille de Jacob et son règne n’aura pas de fin… »

 La jeune fille, robe rose et manteau bleu ciel, sur un fond d’or, est, cette fois,  directement concernée dans son existence la plus intime… Une figure inoubliable de beauté, de grâce et de pureté. 

 Laissant sur ses genoux le livre qu’elle était en train de lire, elle porte la main sur sa jeune poitrine,  en  un geste de pudeur discrète.

 Elle est assise face à l’ange agenouillé. Elle l’interroge du regard : « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? » Connaître a ici le sens biblique d’avoir des relations conjugales. Le texte est au présent. Marie signale à l’ange un état de fait. (Lc. 1, 34).

D. Troisième acte.

 Encore Fra Angelico.

 Le retable de l’Annonciation de Cortone.

Fra Angelico. Vers 1430.  Cortone. Musée diocésain.

Fra Angelico. Vers 1430.
Cortone. Musée diocésain.

Peint pour la collégiale de Cortone, ce retable est aujourd’hui conservé juste en face, au musée diocésain, de l’autre côté d’une charmante petite piazetta qui surplombe les remparts de la vieille ville.

 Presque toute la surface en est occupée par un cloître où se déroule  le troisième acte  du récit de Luc.

 A gauche, tout en haut, Fra Angelico nous montre seulement la tête de l’ange qui chasse nos premiers parents  du paradis terrestre et les condamne à travailler sur un sol aride. 

Au centre et à droite, on voit l’ange parler à la Vierge et celle-ci lui répondre. L’essentiel de leur dialogue est écrit en lettres d’or qui se lisent entre leurs deux visages en passant derrière la colonne du cloître.

Les paroles de l’ange, en lettres d’or: « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre… »

 

Luc ajoute seulement: « C’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu. » C’est l’annonce par l’ange de la conception virginale de Jésus et, en même temps,  de la maternité divine de Marie…

 « Saint », le terme qui, dans l’Evangile de Luc et dans les Actes marque, plus fortement encore que celui de « Fils de Dieu », une appartenance exclusive à Dieu… L’une des plus anciennes et des plus fortes expressions de la divinité de Jésus. « Tu es le Saint de Dieu », dira Pierre à Jésus (Jn. 6, 69). Et l’esprit impur dira : « Jésus de Nazareth, tu es venu pour nous perdre. Je  sais qui tu es : le Saint de  Dieu. » (Mc. 12, 24 et Lc. 4, 34 ).

Les paroles de Marie en retour qu’il faut lire en sens inverse de la droite vers la gauche : « Je suis la servante du Seigneur ». En lettres d’or, comme celles de l’ange.

Et Luc ajoute seulement dans son texte: « Que tout se passe pour moi comme tu me l’as dit. »

La colonne de marbre blanc qui sépare l’ange de la Vierge rend invisible son Fiat, comme si le peintre avait voulu suggérer que l’expression de son consentement personnel était réservé à Dieu seul…

Sur un petit médaillon en relief, inséré dans la pierre au-dessus de cette colonne de marbre blanc, Dieu le Père apparaît les mains ouvertes. Juste en dessous, la colombe prend lentement son vol dans une lumière dorée en direction de la Vierge. 

L’ange est  richement habillé : Une robe rose sur laquelle sont brodées des étoiles d’or et des  passementeries  également d’or… ll lève l’index de la main gauche pour affirmer l’autorité qu’il tient de Dieu et dirige celui de la main droite vers la Vierge pour la convaincre qu’il s’agit bien d’elle.

Robe rouge sous un grand manteau bleu brodé, Marie croise les mains sur sa poitrine pour protéger le secret qui lui a été confié. Son doigt est orné d’un anneau de mariage en signe de la nouvelle alliance qui vient de se nouer Dieu et elle, entre Dieu et l’humanité.

Une  image qui veut sans doute exprimer la part que la Trinité toute entière prend  à l’Incarnation et au choix de Marie pour en être l’instrument.

E. Le dénouement, enfin

Fra Angelico encore, dans l’une des cellules du couvent de San Marco.

Le « oui » de Marie est un chemin qui s’ouvre… Mais il faut aussi savoir se taire devant un tel mystère : avant de s’en aller, mission accomplie, l’ange joint les mains, silencieux désormais, contemplant la jeune fille, silencieuse, elle aussi, les mains croisées comme une moniale en prière. Il n’y a plus ni rayons lumineux, ni colombe, ni lettres d’or, ni fleurs. Deux silences et deux regards. Tout est fini et tout commence. 

 Et l’ange la quitta. Pour que passe le vrai message, il faut que le messager s’efface ( Michel Serres. La légende des anges ).

Encart.

Le Prado conserve  un deuxième retable assez proche de celui  de Cortone

Fra Angelico. Après 1430.  L’annonciation du Prado.

Fra Angelico. Après 1430. L’annonciation du Prado.

Ce retable avait été peint pour le couvent de Fiesole, il y aurait été placé en 1438. Il a été acheté en 1611 par le duc de Lerme qui l’a déposé au collège de Valladolid. Il est passé ensuite dans un couvent de Madrid avant d’entrer au Prado en 1861.

Au centre et à droite de ce retable, comme à Cortone, la scène de l’Annonciation.

Mais dans le ciel bleu, à gauche, un soleil comme une boule de feu. Il me semble y entrevoir les deux mains de Dieu le Père. De ce soleil s’échappe un large rayon de lumière dorée qui pénètre dans le cloître en direction de la Vierge… A l’intérieur de ce rayon, au bout, juste avant la colonne,  une toute petite colombe blanche…

L’ange garde les bras croisés sur sa poitrine. Il regarde la Vierge, mais il ne lui parle pas.  Elle non plus. Dans le retable du Prado, tout est silence.

A gauche, le jardin sur lequel donne le cloître, c’est aussi le paradis terrestre. Les arbres  sont chargés de fruits et la  prairie émaillée de fleurs.

Adam et Eve en sont  chassés par un ange aux ailes rouges mais ils n’en sont pas encore sortis. Trois pommes sont tombées à terre à leurs pieds. Ils ne les regardent même pas.

Le musée de Monte-Carlo conserve enfin un troisième retable de Fra Angelico sur l’Annonciation presque identique à celui de Cortone.

Notez aussi que le retable de Cortone comporte une prédelle de très grande qualité avec sept images présentant  de gauche à droite : la Naissance de la Vierge, le Mariage de la Vierge, la Visitation, l’Adoration des Mages, la Présentation de Jésus au Temple, la Dormition de la Vierge et la Vierge remettant l’habit de l’ordre à saint Dominique…

La prédelle du retable du  Prado n’en comporte que cinq.

Fin de l’encart.
 

II.   Une floraison d’images

Ni Marc, ni Matthieu, ni Paul, ni Jean ne font allusion à l’Annonciation. Luc est le seul à raconter la scène… Mais les premiers chrétiens lui ont réservé une place de choix. Je viens de vous montrer quelques images, parmi les plus connues qui, à mon sens, illustrent  le mieux le récit de Luc. Il y en a des centaines d’autres…

A.Toutes premières images en Occident.

Elles témoignent de l’ancienneté de la dévotion des premières générations chrétiennes à l’égard de la Vierge…

Une fresque de la catacombe de Priscille. IIIème siècle.

Une fresque de la catacombe de Priscille. IIIème siècle.

Ce serait la première image connue  de l’Annonciation…

Un ange, à qui l’on n’a pas encore donné  d’ailes, tend le bras vers la Vierge assise sur un trône… Luc nous avait dit qu’il s’agissait de Gabriel, celui qui se tient devant Dieu, l’annonciateur du temps du salut, dont parlait déjà le prophète Daniel  (16-17).

2.   Moins de cent ans plus tard, vers 450, très vite après le concile d’Ephèse, sur la mosaïque de l’annonciation de Sainte-Marie-Majeure, la Vierge est assise,  face aux fidèles, sur un trône comme une impératrice, couverte de bijoux et portant une somptueuse robe dorée.

Elle file l’écheveau d’écarlate et de pourpre authentique que, selon le Protévangile de Jacques, le Grand Prêtre lui aurait confié pour tisser le voile du Temple du Seigneur. Au dessus d’elle, la colombe, et l’ange tout de blanc vêtu, cette fois pourvu de deux ailes qui vole dans sa direction sans qu’elle le voie…

 

A droite, un peu plus loin, un autre ange explique à Joseph, l’air sinistre, qu’il ne doit pas répudier son épouse…

B.  Ensuite dans l’Orient byzantin.

Un modèle que je retrouverai plus tard à Ochrid, en Macédoine, au temps des Paléologues ainsi qu’à Erevan, en Arménie et aujourd’hui encore sur les icônes de nombreuses églises orthodoxes.

Ochrid. Eglise saint Clément. Début XIVème.  Aujourd’hui au Musée national de Macédoine.

Ochrid. Eglise saint Clément. Début XIVème.
Aujourd’hui au Musée national de Macédoine.

A travers cette représentation de l’icône d’Ochrid, la vérité théologique de l’Annonciation rayonne vers le fidèle : A l’élan impétueux de l’ange, la Vierge répond par une attitude digne. La paume de la main en avant semble signifier plus de réserve que d’acceptation. (Cf. L’Annonciation. Etienne Choppy. Ed. AGEP. 1991)

Encart

Le premier plan est indiqué par les deux socles qui surélèvent le sol et ouvrent la scène vers le spectateur sans donner l’impression de la profondeur : ils sont dessinés soit en perspective inversée (socle de la Mère de Dieu) soit en axonométrie (socle de l’Archange) c’est-à-dire de façon à exprimer un mouvement vers l’avant. Ce procédé s’applique également aux architectures qui donnent à l’icône son ouverture vers le haut.

L’art de l’icône, en refusant la « boîte-espace », c’est-à-dire toute profondeur, devait placer à l’extérieur des bâtisses les événements se déroulant à l’intérieur. Et pour indiquer que l’action se joue à l’intérieur des bâtiments, un voile rouge est suspendu entre les sommets de l’architecture. C’est le cas ici.

Fin de l’encart.
Manuscrit arménien. Evangile. Vers 1280. Erevan.

Manuscrit arménien. Evangile. Vers 1280. Erevan.

Marie file la pourpre en tenant la quenouille de la main droite et l’écheveau de la gauche.  Revêtue d’une robe noire et d’un manteau bleu, elle se lève pour accueillir l’ange.

Des colonnes s’élèvent des coins de son fauteuil, surmontées « de petits monuments insolites » (op. cit.)

Elle nous regarde de ses grands yeux noirs, tandis que l’ange s’avance vers elle, le bras tendu et les doigts ouverts pour la saluer…

C.  Plus tard, en Occident.

Des centaines d’autres Annonciations au cours du Moyen-Age et de la Renaissance. Dans la seule galerie des Offices, Simone Martini, Fra Angelico, Daddi, Lorenzo di Credi, Botticelli, Leonardo da Vinci… Aujourd’hui encore…

L’imagination des artistes s’est donnée libre cours pour choisir le décor de ce récit.

En Toscane, la scène se passe dans un jardin, dans la cellule d’un couvent, ou dans l’angle d’un cloître. En Flandre, en Bourgogne, en Allemagne, parfois dans une église, plus souvent dans la chambre d’une maison bourgeoise, au fond de laquelle on voit un grand lit confortable.

L’ange tient un bâton à la main, comme Hermès, le messager des Dieux, ou Raphaël accompagnant Tobie dans son long voyage. Plus tard, au temps de la chrétienté triomphante, le bâton sera remplacé par un sceptre surmonté d’un globe d’or ou de cristal, puis après la révolution franciscaine, par un rameau d’olivier en signe de paix, à Sienne notamment, et de plus en plus souvent ensuite, par un lys blanc, symbole de la pureté virginale, celui qu’un  chevalier servant  offre en hommage à sa Dame.

Le trône sera remplacé par un fauteuil, voire par un simple banc ou un tabouret de bois. A moins que la jeune fille ne se soit agenouillée,  à même le sol,  ou sur un prie-Dieu, semblable à ceux de nos grands-mères.

Parfois un détail insolite : à l’intérieur du rayon lumineux qui part du Père pour aller jusqu’à la Vierge, figure un minuscule bébé nu. Ainsi dans le retable d’Aix en Provence.

Comme si l’enfant était déjà né sans accouchement…

L’Annonciation d’Aix. Huile sur bois. 1445. Eglise de la Madeleine. Aix en Provence.

L’Annonciation d’Aix. Huile sur bois. 1445.
Eglise de la Madeleine. Aix en Provence.

L’origine de ce détail se trouve dans un des Evangiles apocryphes dont je vous parlerai longuement au chapitre suivant (Blog 15 bis la famille de Marie) :

« Au moment où l’ange va quitter la Vierge, le Verbe de Dieu pénétra en elle par son oreille et la nature humaine de son corps animé fut sanctifiée avec tous ses sens et fut purifiée comme l’or dans le feu… Elle devint un temple saint, immaculé et le séjour de la divinité du Verbe. Et au même moment commença sa grossesse. » (Texte arménien de l’Evangile de l’enfance, cité par Daniel-Rops. Les Evangiles de la Vierges. Club des Editeurs. p.181)

D.  Deux images déconcertantes.

Au temps de la Renaissance, l’union entre un dieu et une mortelle, celle qui donne naissance aux héros, aux demi-dieux, est presque toujours marquée au coin d’une sensualité qui n’exclut pas la violence.

Rien de tel dans le récit de Luc. Aucune menace de la part du messager, rien qui puisse s’apparenter à un viol, ni même à une prise de possession, aucune tentative de séduction non plus. Cette simple phrase, empreinte d’une grande douceur :  « Le Seigneur est avec toi »…

Et Marie n’oppose aucun obstacle : « Je suis la servante du Seigneur ». L’Annonciation est étrangère à l’univers de la violence. Les artistes l’ont bien compris.

Sauf deux d’entre eux, et non des moindres.

Grünewald. Un volet du retable d’Isenheim, à Colmar. 1512-1515.

Grünewald. Un volet du retable d’Isenheim, à Colmar. 1512-1515.

Venant de la droite, un ange gigantesque fait irruption à l’intérieur de l’église – un lieu saint – où se tient la Vierge, seule, tout de noir vêtue, comme une moniale, entre deux rideaux qui devraient protéger sa solitude.

Le vent du dehors fait encore tourbillonner la longue chevelure, presque rousse, de l’ange et les draperies flottantes dont il est enveloppé. Un fermoir doré, comme un masque magique, est accroché sur sa chemise jaune vif. Sa main gauche tient un sceptre d’or, signe de la puissance divine. Deux doigts de sa main droite sont  pointés impérieusement en direction de la Vierge pour lui signifier qu’elle doit accepter. Une irruption traumatisante pour cette petite gretchen blonde effarouchée, qui lâche son livre, croise les mains, ferme les yeux et détourne son visage…

A-t-elle raison de s’inquiéter ? L’ange serait-il un symbole maléfique comme celui qui annoncerait une effraction, un viol ? Ou s’agit-il bien du mystère de l’Incarnation, annoncé par le vieux prophète au turban et à la longue barbe, un livre ouvert dans les mains, qui, perché dans les hauteurs de la voûte en croisée d’ogives, contemple la scène sans intervenir ?

Lorenzo Lotto. Entre 1527 et 1530. Pinacothèque de Recanati, près de Lorette

Lorenzo Lotto. Entre 1527 et 1530. Pinacothèque de Recanati, près de Lorette

Ici aussi l’ange vient de la droite, lorsqu’il fait irruption dans la chambre de Marie.

Il a bien mis un genou en terre, et il porte même un lys à la main, mais il et visiblement en état d’hypnose, le regard hystérique, la main levée vers le ciel où Dieu le Père, au visage impérieux, tel celui de la Sixtine, dirige ses deux mains  vers la Vierge comme pour lui signifier : Il en sera ainsi. Tandis qu’un chat au poil hérissé, s’enfuit en courant…

Pauvre jeune fille à la robe rose, Marie laisse son livre de prière sur la table pour fuir le regard inquiétant de cet intrus et se retourner vers le spectateur afin de le prendre à témoin de son trouble.

Grünewald, Lotto, de rares exceptions parmi des centaines d’images lumineuses et pacifiantes…

Dans ces deux tableaux, l’ange menaçant vient de la droite… la place de l’homme fort d’où il domine celui ou celle qui est à sa gauche…

Mais l’ange n’en est pas moins à droite sans être dominateur pour autant,  dans quelques Annonciations occidentales des XVIème et XVIIèmes siècles : Ainsi dans celles du Le Titien, à Naples, du Greco à Budapest, de Rubens à Vienne, de Philippe de Champaigne à Caen,  de Zurbaran à Greenville (USA) et de Gentileschi à Turin…

Orazio Gentileschi. 1623. Turin. Galerie Sabauda.

Orazio Gentileschi. 1623.
Turin. Galerie Sabauda.

In fine

Je suis resté ici dans le cadre strict de l’iconographie, mais je ne peux pas à la fin de ce chapitre consacré à « l’Annonce faite à Marie » dans l’art chrétien, ne pas me poser deux ou trois questions liées à l’évolution de la doctrine chrétienne sur ce sujet.

A.  Dans le récit qu’il nous donne de l’Annonciation, Luc fait clairement état des deux natures, humaine et divine, de Jésus Christ sur la foi d’une tradition enracinée dans le tout premier judéo-christianisme (Ch. Perrot, op cit p 37 ).

Sa nature divine. Ce que dit l’ange : Ce fils que tu enfanteras… « sera appelé fils du Très Haut…  L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre… C’est pourquoi celui qui naîtra sera Saint et sera appelé Fils de Dieu »… (Lc. 1. 32 et 35)

Mais aussi non moins clairement, sa nature humaine : Toi, jeune fille juive de Nazareth, tu vas être « enceinte », tu « enfanteras » un fils, tu lui donneras « le nom de Jésus »… Celui qui va  « naître » de toi…

Ce serait ainsi grâce à Marie, et par elle, que Dieu aurait pu expérimenter lui-même en son Fils, la fragilité et la dépendance, la pauvreté et la faiblesse de notre nature humaine jusqu’à la mort incluse, et une mort sur une croix…

Cette révélation ne pose pas de problème.

B.  Complété par celui de Matthieu, plutôt centré sur Joseph, le récit de Luc, tout à fait centré sur Marie, exprime clairement cette conviction des premiers chrétiens que Jésus était né d’une jeune femme vierge sur laquelle était descendu l’Esprit Saint, que sa conception résultait d’une intervention directe de Dieu son Père et donc que Joseph, l’époux de Marie, ne pouvait être son père biologique.

Mais pour la société patriarcale de ce temps et dans cette région du monde, si bien évoquée et par les textes et par les œuvres d’art, le père était, et devait rester encore pendant des siècles, celui qui engendre, la source de la vie, la semence dont la mère n’était que le réceptacle.

Pour les Galiléens, les synoptiques le répéteront, le père de ce Jésus de Nazareth ne pouvait donc être aux yeux des hommes que ce Joseph, l’époux de sa mère.

C. Tout en acceptant les deux natures de Jésus et l’intervention providentielle de Dieu dans sa naissance d’homme, certains de nos contemporains, parmi lesquels des chrétiens, ne s’en demandent donc pas moins si cette paternité divine, fondement de la foi chrétienne, est vraiment incompatible avec une paternité biologique de Joseph.

La formulation retenue – il a été conçu du Saint-Esprit –  était sans doute la seule qui permettait dans la culture de l’époque de rendre compte du fondement de la nouvelle foi en conciliant l’humanité de Jésus avec sa divinité.

Mais peut-on se demander aujourd’hui si cette paternité spirituelle de Dieu implique nécessairement que l’homme Jésus ait dû être conçu sans l’intervention d’un père humain, de façon supranaturelle, transgressant ainsi les lois fondamentales de la transmission de la vie…

Je relève pour ma part qu’au tout début de son  Epître aux Romains (I. 2-4), écrite en 57 ou 58, Paul affirme que l’Evangile de Dieu… « concerne son Fils,       issu selon la « chair » ( le mot a ici le sens de la condition humaine comme le note la TOB ) de la « lignée de David », et établi, selon l’Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa Résurrection d’entre les morts, Jésus Christ notre Seigneur » :

La lignée de David donc pour sa condition humaine, une lignée qui, selon Matthieu, nous l’avons vu plus haut,  conduit à « Joseph, l’époux de Marie de laquelle est né Jésus, que l’on appelle Christ »…

La Résurrection ensuite, qui l’établit Fils de Dieu, « selon l’Esprit Saint »…

Avec ces premières lettres de Paul, nous sommes bien ici au cœur du Christianisme primitif…

Mais certains de nos contemporains relèvent aussi que Marc et Jean, eux non plus, ne s’intéressent guère à l’ascendance humaine de Jésus.

Moins de dix ans après la lettre de Paul aux Romains, Marc, le premier à fixer     par écrit les souvenirs recueillis des premiers témoins de Jésus, ouvre ainsi son livre :  Commencement de l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu…  Sans éprouver le besoin d’en dire plus sur l’enfance de Jésus…

Et, à la fin du siècle, Jean écrira simplement, que « le Verbe s’est fait chair » et que « le Père et le Fils sont un » – l’essentiel pour un chrétien – sans éprouver le besoin non plus de préciser de quelle façon cette Incarnation se serait  réalisée dans l’homme Jésus.

Pour reconnaître la nature divine de Jésus homme, serait-il donc vraiment indispensable de croire que la conception de Jésus  se soit déroulée selon les récits de Luc et de Matthieu, alors que cette divinité sera amplement manifestée par sa Résurrection d’entre les morts ?

Eric-Emmanuel Schmitt écrit un peu brutalement, dans «  L’Evangile selon Pilate » (Albin Michel, Livre de poche. 2006 p.250) : « Pour moi, Jésus a un père humain et une mère humaine. Il est le fruit des amours de Joseph et de Marie. Pas plus que les évangélistes Jean et Marc, je n’ai besoin de penser autre chose. C’est la résurrection de Jésus qui m’intéresse, non sa naissance. » La question peut-elle se poser ainsi ?

 Cette Résurrection, située d’emblée dans l’ordre du spirituel, est peut-être en effet paradoxalement plus facile à accepter pour un homme d’aujourd’hui que la conception virginale de Jésus qui se situe nécessairement dans l’ordre de la biologie.

 Je note dans ce sens la priorité que les Ecritures accordent, de façon unanime, à la première, par rapport à la seconde. Comme l’écrit le père Gibert  (La Croix, 3 janvier 2003), « il est nécessaire de créer une hiérarchie dans les éléments de la foi. »

 

Fin du premier envoi sur Marie.

§ Une réponse à Marie, mère de Jésus et mère de Dieu. Ier envoi.

  • Christine Fontanet dit :

    Bravo c est magnifique ! Fra Angelico plane au dessus de tous! Merci de ce bon moment. Christine

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